Depuis le début de la crise, les équipes pédagogiques des établissements scolaires publics de notre région ont montré leur professionnalisme, leur détermination à réduire au mieux les effets négatifs du confinement, puis à organiser la reprise sous la contrainte d’un nécessaire protocole sanitaire. Ils et surtout elles, l’ont fait, sur tous les territoires avec les mêmes difficultés que ceux et celles qui ont pu recourir au télétravail, avec leurs propres moyens informatiques et leurs compétences, sans aides ou si peu de leurs ministères, et ce malgré les effets d’annonce et la communication chaotique de ceux-ci (impréparation, leurre de la continuité pédagogique, évocation d’élèves et d’enseignants en « vacances »…). Au final, très peu ont renoncé en dépit de ces obstacles, face à ce qui leur est apparu comme leur devoir et une nécessité évidente, pendant et après le dé-confinement.
De cette période, elles-ils ont tiré plusieurs conclusions. La première, mais pas des moindres est que, si les activités « numériques » peuvent venir enrichir une séquence en termes d’apprentissage de savoirs et de compétences, elles se révèlent, même partagées, être un outil particulièrement chronophage et qui ne doit certainement pas être l’unique support d’une construction pédagogique satisfaisante. L’interactivité en classe est nécessaire et indispensable. C’est la base du métier d’enseignant que d’observer les comportements verbaux et non verbaux des élèves, et d’agir en fonction. De plus, les élèves ne sont pas « égaux » face à une situation d’enseignement (capacités cognitives, vécu, sensibilité, etc.) et l’enseignant, au sein d’une classe ou d’un atelier, ajuste et conseille, guide et oriente pour amener le groupe classe vers l’objectif pédagogique recherché. Le présentiel reste une nécessité absolue pour mener une séquence d’enseignement dans des conditions raisonnables. L’enseignement professionnel, avec l’utilisation de supports pédagogiques spécifiques, s’inscrit inévitablement dans ce contexte. C’est ainsi que les équipes se sont approprié les outils numériques disponibles dans la situation particulière du confinement, parfois avec créativité, mais ont constaté que leur usage augmentait inexorablement les inégalités entre élèves. En effet, au-delà des difficultés matérielles et de connexion, beaucoup de jeunes ont montré leur peu d’autonomie notamment dans l’utilisation des TICE, leur réussite dépendant souvent de la présence ou non d’un adulte capable de les aider.
La deuxième est l’injustice générée par la prise en compte du contrôle continu dans l’évaluation certificative des apprenant-es. L’apprentissage est un processus qui chez certain.es élèves est long et qui doit permettre l’erreur. De plus, ce contrôle continu crée une iniquité flagrante entre les élèves de différents établissements.
Enfin, la période de confinement et de déconfinement a rappelé l’importance du caractère obligatoire de l’instruction, du travail journalier et laborieux des élèves et des enseignant-es pour construire leur éducation. Au final, elles et ils ont affiché leur indéniable efficacité à éduquer en temps normal tous les jeunes sur une large palette d’enseignements incluant la culture, la pratique sportive, les bases de la citoyenneté et de la vie en société, à condition que leur soient donnés le temps et les moyens.
Est-ce pour cacher ces conclusions qu’une campagne méprisable de dénigrement s’abat sur les enseignant-es, alors qu’elles-ils ont été majoritairement remercié-es par les familles ? Est-ce parce que la volonté des enseignant-es à renforcer ce bien commun et à l’améliorer va à l’encontre de la vision de l’école néo-réactionnaire, étriquée, à la carte, adéquationniste et basée sur l’individualisme de notre ministre, qu’il les laisse ainsi être attaqué-es et qu’il distille à longueur d’interviews inutiles les racines de cette cabale ? La réponse était déjà évidente avant la crise, lorsque le bilan de ces deux premières années a été fait et que des mouvements de personnel ont montré leur opposition à cette politique. Le détricotage du système éducatif public est systématique et organisé pour éviter toute contradiction (loi sur l’école de la confiance). Les baisses de moyens automatiques permises par les réformes des baccalauréats avec les E3C, la mise en place de Parcours sup, l’illusion du choix et la vraie disparition de l’accès à une diversité d’options et de poursuites d’étude, l’ouverture au privé de nouveaux financements par l’instruction obligatoire à trois ans ou la mise en place de classe de mises à niveau, le développement de l’apprentissage qui assèche les lycées professionnels derniers supports éducatifs des élèves les plus en difficulté et l’ouverture à la concurrence des centres de formations par apprentissage, conduisent à une altération volontaire de l’école publique républicaine. Elle est désormais transparente lorsque notre ministère profite sans vergogne de la crise actuelle pour imposer d’autres réformes plusieurs fois rejetées par une large part du monde éducatif.
C’est ainsi que pendant que la population cherche prioritairement à se battre contre les effets économiques de la crise, est présenté honteusement le projet de loi sur les directeurs d’école que seulement 11% de la profession plébiscite. La fonction de direction d’école se dégrade depuis des années. Elles-ils ont besoin de plus de temps, d’une meilleure rémunération, d’un réel allègement de leurs tâches administratives, d’une formation initiale et continue, de personnels dédiés au fonctionnement de l’école et du soutien de leur hiérarchie. C’est dans ce contexte que la FSU réclame des mesures spécifiques pour tenir compte des évolutions des missions et de la dégradation des conditions de travail. Mais alors que les réponses de l’institution devraient uniquement s’inscrire dans ce cadre, c’est-à-dire permettre de se recentrer sur l’enseignement, l’animation du collectif de travail, le suivi des élèves et les relations avec les partenaires, ce projet de loi ne répond qu’avec de maigres compensations aux attentes et ajoute des contraintes supplémentaires inadmissibles. Il ne conduira les directeurs·trices qu’à subir malgré elles-eux un rôle hiérarchique, les mettant ainsi au pas d’une administration caporalisée. Cette loi va à l’encontre de ce qui se fait partout ailleurs où la collaboration permet des gains d’efficacité et de qualité de vie au travail. La FSU de Nouvelle-Aquitaine rappelle que le conseil des maîtres et des maîtresses, de cycle et d’école doivent rester les seules instances de réflexions et de décisions dans les écoles.
Comme si cela ne suffisait pas, en insistant sur le principe de volontariat en début de dé-confinement et en réduisant l’école à un système de garderie pour les plus jeunes, le ministère de l’EN a mélangé les enjeux sociaux et éducatifs de cette reprise et a lui-même créé la confusion qu’il s’est permis par la suite de critiquer. La volonté opportuniste à imposer l’ « ancien nouveau » dispositif 2S2C (Sport-Santé-Culture-Civisme), qui s’il est étendu, amènera à sortir du système scolaire les enseignements d’éducation physique et sportive et des arts (musique, arts plastiques) pour les confier à des structures locales, en les rendant au passage facultatifs, ne participe pas non plus à redonner à l’école publique, obligatoire laïque et gratuite le rôle de pilier de la société qu’il doit avoir. Le mirage des « vacances apprenantes », outre qu’il stigmatise les jeunes, détourne des moyens qui devraient aller à l’école publique, parfois vers des associations confessionnelles, et brouille un peu plus les valeurs sur lesquelles doit être construite l’éducation pour tous. En outre, la FSU appelle à ne pas dévoyer le travail des associations laïques d’éducation populaire et sportive, en les soutenant pour ce qu’elles savent faire et ce qu’elles promeuvent, sans les mettre en concurrence avec le travail des enseignants et sans leur imposer, au moment où les financements manquent, de prendre en charge les missions du service public d’éducation pour survivre.
Ces attaques contre un service public qui s’est pourtant révélé essentiel pendant la crise sanitaire n’épargnent aucun secteur. C’est en particulier la même méthode de dénigrement et de mensonge sur une prétendue modernisation dont l’objectif est de réduire les moyens qui ont amené les hôpitaux dans la situation de fragilité que nous avons constatée ces derniers mois et qui a conduit à des drames sanitaires dans plusieurs régions. Appliqué à l’éducation, l’émiettage régulier des missions, comme la volonté actuelle d’externalisation des services de santé scolaire et de l’orientation, aura des conséquences moins immédiates, mais tout aussi réelles sur un équilibre social déjà très précaire. Il viendra s’ajouter au fractionnement social des actions publiques éducatives dont la voilure se réduit pour une majorité de la population, tout en maintenant artificiellement un filet pour les plus fragiles, méthode issue des politiques les plus libérales qui a l’avantage pour le ministère de permettre un affichage progressiste. C’est le cas des dispositifs particuliers pour les zones prioritaires qui ne fixent plus l’objectif de mixité sociale permettant la cohésion à laquelle une majorité de la population aspire et dont l’école devrait être garante. Il sera trop tard pour dénoncer demain par exemple le recours et le coût de plus en plus important à des services privés pour les familles les plus impliquées, ou encore la radicalisation ou le communautarisme contre lesquels l’école publique est le premier rempart. Les dernières évaluations réellement indépendantes de feu le CNESCO l’avait démontré : ce qu’il faut à l’école pour remplir correctement ses missions, notamment d’ascenseur social, ce ne sont pas des réformes successives et idéologiques, mais un cycle d’amélioration apaisé et continu d’un système robuste soutenu par une administration compétente.
Nous en sommes loin et c’est pourquoi la FSU Nouvelle-Aquitaine exige la réorientation de l’ensemble de la politique éducative du ministre Blanquer et l’abandon des mesures dénoncées ici. Alors que l’année prochaine devra pallier les difficultés hétérogènes accumulées pendant la crise et qu’aucune véritable réponse à nos questions n’a été apportée jusqu’à présent sur ce sujet, la FSU réclame une politique fondée sur la revalorisation du travail des enseignant-es et de l’ensemble des équipes éducatives et sur leur formation, leur donnant les moyens humains, financiers et organisationnels pour permettre à tous les jeunes d’accéder à un large système éducatif public, gratuit, laïque, exigeant, émancipateur et solidaire, à l’image de ce que devrait être le monde de demain qu’ils participeront à construire.